UNE BONNE NOUVELLE POUR LES OPCVM ESPAGNOLS AYANT DES ACTIFS EN FRANCE
Par Felipe Sáez,
Administrateur de la COCEF,
Chargé des Relations Extérieures
Selon la législation fiscale française en vigueur, (art. 119 bis, 2°, du Code Général des Impôts), les dividendes acquittés par des sociétés françaises résidentes à des personnes physiques ou morales non domiciliées fiscalement en France sont assujettis à une retenue à la source, de 30 % actuellement.
Cette retenue n’est pas applicable aux dividendes versés par ces mêmes sociétés françaises à des personnes physiques ou morales ayant la qualité de résidents fiscaux en France.
Conformément à ce principe, la retenue s’applique aux dividendes provenant de sociétés françaises perçus par des OPCVM (Organismes de Placements Collectifs en Valeurs Mobilières) espagnols non résidents, tels que les Sicav (Sociétés d’Investissements à Capital Variable) et les Fonds d’Investissements. Toutefois, en vertu de la Convention franco-espagnole en vigueur pour prévenir la Double Imposition, le taux de cette retenue est limité à 15 %.
En revanche, la retenue ne s’applique pas aux dividendes distribués par des sociétés françaises dès lors que leurs bénéficiaires sont des OPCVM français résidents.
Cette réglementation pénalise, surtout, ceux des Sicav et Fonds d’Investissements espagnols qui sont assujettis à un régime spécial de l’Impôt sur les Sociétés (IS), du fait que le nombre de leurs actionnaires ou co-participants est supérieur à 100.
En effet, en vertu de ce régime fiscal spécial, et bien que ces OPCVM se voient appliquer un taux d’imposition extrêmement réduit (1 %), ils perdent le droit à imputer sur leur impôt brut un avoir fiscal -égal à la retenue à la source- pour les dividendes ou les participations aux bénéfices perçus de sociétés non résidentes, de manière ainsi à éliminer la double imposition internationale.
Il en résulte que ce taux réduit d’imposition ne compense pas la suppression de l’avoir fiscal. Cela donne lieu actuellement, pour les placements collectifs portant sur les valeurs mobilières françaises dans le cadre du régime fiscal spécial, à une charge fiscale plus élevée que si ces placements avaient été réalisés directement ou, dans le cas de personnes morales, s’ils avaient été effectués par l’entremise d’une OPCVM imposée normalement.
Cependant le droit communautaire interdit toutes restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres de l’Union Européenne et entre ceux-ci et les autres États (art. 63 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne ou TFUE).
Cette interdiction ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale établissant une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où ils ont investi leurs capitaux (art. 65, 1 du TFUE. Néanmoins, les réglementations nationales ne doivent pas constituir un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements (art. 65,3 du TFUE).
Tout ce qui précède a donné lieu, en 2010, à un recours de la part de plusieurs OPCVM étrangères, aussi bien espagnoles que d’autres pays européens, auprès du Tribunal administratif de Montreuil. Alléguant que l’application de la retenue à la source uniquement aux OPCVM étrangères et non aux françaises constitue une discrimination au regard de la libre circulation des capitaux garantie par le droit communautaire, les OPCVM espagnols réclamèrent le remboursement des retenues ayant grevé les dividendes qu’ils avaient perçu en 2004 et 2005.
Le Tribunal administratif consulta le Conseil d’État, lequel lui enjoignit de demander à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) si, pour déterminer l’existence ou non d’une discrimination fiscale entre les OPCVM français et étrangers, il y a lieu de considérer le traitement fiscal applicable aux dividendes perçus en France par les OPCVM non résidents uniquement et exclusivement au niveau des OPCVM ou bien il faut tenir compte de la situation fiscale des porteurs de parts ou d’actions, étant donné que les OPCVM bénéficient généralement d’exonérations ou d’une fiscalité réduite dans leur pays de résidence.
La CJUE a prononcé son arrêt le 10 mai 2012. Les attendus de cet arrêt son intéressants en ce que les príncipes invoqués sont susceptibles de justifier des recours contre d’autres modalités des législations fiscales nationales.
En premier lieu, la Cour rappelle que la jurisprudence communautaire a qualifié comme mesures restrictives des mouvements de capitaux, celles susceptibles de dissuader les investissements des non résidents dans un État membre ou les investissements de résidents de cet État dans les autres États. Tel est le cas de la réglementation en vertu de laquelle sont imposés différemment les dividendes perçus par les OPCVM en fonction de la résidence de ces Organismes, car cette réglementation est susceptible de décourager aussi bien les placements des OPCVM non résidents dans des sociétés françaises que les placements de résidents français par l’entremise d’OPCVM étrangères.
En conséquence, la CJUE considère que la réglementation française à cet égard constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, interdite, en principe, par le droit de l’Union Européenne.
En deuxième lieu, la Cour rappelle qu’une telle restriction peut être compatible avec le droit communautaire, pour autant qu’elle concerne des situations non objectivement comparables ou bien qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.
Pour apprécier le caractère comparable des situations, la Cour précise que, lorsqu’une réglementation fiscale nationale établit un critère distinctif pour imposer les bénéfices distribués, il convient de tenir compte de ce critère.
En l’espèce, le critère est le lieu de résidence des OPCVM, puisque ne sont assujettis à une retenue à la source sur les dividendes perçus en France que les OPCVM non résidents dans ce dernier pays. Aussi, la Cour estime que l’appréciation de la comparabilité doit s’effectuer uniquement au niveau des OPCVM, sans tenir compte de la situation fiscale des porteurs de leurs parts ou actions.
La CJUE considère donc que la différence de traitement entre les OPCVM résidents et non résidents ne peut se justifier par une différence de situation pertinente.
Quant aux motifs d’intérêt général qui pourraient justifier la restriction sus mentionnée, l’un d’eux pourrait être la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres. Il s’ensuit qu’une différence de traitement est admissible pour autant que la réglementation nationale vise à prévenir des comportements de nature à porter atteinte au droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale sur des activités réalisées dans son territoire.
Toutefois, si un État membre décide de ne pas imposer les dividendes d’origine nationale que perçoivent les OPCVM résidents, il ne peut invoquer cette nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition pour justifier son imposition de ces mêmes dividendes dès lors qu’ils sont perçus par des OPCVM non résidents.
L’État membre ne peut non plus invoquer la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux, puisque l’imposition s’applique uniquement et exclusivement aux OPCVM non résidents.
De même, il ne peut justifier la différence de traitement par la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal, à défaut d’un lien direct entre l’exonération de retenue à la source sur les dividendes d’origine nationale perçus par les OPCVM résidents et l’imposition de ces mêmes dividendes en tant que revenus des porteurs de parts ou actions des OPCVM. En effet, l’avantage fiscal attribué aux OPCVM résidents n’est pas subordonné à la redistribution par ces derniers des dividendes, de manière à ce que l’imposition de ces dividendes au niveau des porteurs de parts ou actions compense l’exonération de la retenue à la source.
Par conséquent, la Cour de Justice de l’Union Européenne déclare que » Les articles 63 TFUE et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui prévoit l’imposition, au moyen d’une retenue à la source, des dividendes d’origine nationale lorsqu’ils sont perçus par des organismes de placement collectif en valeurs mobilières résidents dans un autre État, alors que de tels dividendes sont exonérés d’impôt dans le chef des organismes de placement collectif en valeurs mobilières résidents dans le premier État « .
Cet arrêt revêt une grande importance pour deux raisons.
D’abord, il fait jurisprudence. Partant, il fournit des arguments de défense auprès d’autres juridictions dans les procédures engagées à la suite de situations discriminatoires analogues.
Ensuite, il est applicable avec effet rétroactif.
En effet, étant donné le montant élevé des requêtes en restitution (4,2 milliards d’euros), le Gouvernement français avait demandé à la CJUE de limiter dans le temps les effets de sa décision, si celle-ci déclarait incompatible la réglementation faisant l’objet des recours avec le droit communautaire pris en ses articles 63 et 65 du TFUE. A l’appui de sa demande, il alléguait les graves conséquences économiques d’une déclaration d’incompatibilité et le fait que, compte tenu du comportement de la Commission Européenne et des autres États membres, l’État français pouvait considérer que la réglementation contestée était conforme au droit communautaire.
La Cour a rappelé que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation qu’elle donne d’une disposition du droit communautaire « éclaire et précise la signification et la portée de cette disposition, telle qu’elle doit ou aurait du être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur« . En conséquence, la disposition interprétée peut et doit être appliquée par la Cour, même à des rapports juridiques nés et constitués avant la décision statuant sur la demande d’interprétation.
C’est seulement à titre exceptionnel, quand sont réunis les critères de la bonne foi des parties et le risque de troubles graves, que la Cour peut limiter la possibilité pour les parties intéressées d’invoquer une disposition interprétée par elle afin de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi.
La Cour a déclaré que, dans le cas présent, il n’existait pas, comme alléguait le Gouvernement français, d’incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions du droit communautaire, et que le Gouvernement français n’avait pas non plus précisé en quoi les comportements de la Commission Européenne et des autres États membres auraient contribué à cette incertitude.
En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour, pour déterminer la compatibilité d’une réglementation comme celle faisant l’objet des recours, il convient d’apprécier si les situations sont comparables en les prenant en compte au niveau choisi par l’État membre lui-même (les OPCVM dans le cas présent).
Il n’y a donc pas lieu à bonne foi découlant d’une incertitude objective.
Quant à l’argument tiré d’un risque de trouble économique, la Cour a rappelé que, conformément à une jurisprudence constante, les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation dans le temps des effets de cet arrêt. Et ce d’autant plus que le Gouvernement français n’avait pas présenté des données qui auraient permis d’apprécier ce risque.
Au vu de ce qui précède, la CJUE a conclu « qu’il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt « .
L’Administration française va être obligée d’appliquer un traitement fiscal identique aux résidents et non résidents, soit en exonérant de retenue à la source les non résidents soit en imposant cette retenue à tous les contribuables qu’ils soient résidents ou non. Selon plusieurs experts, la seconde option apparaît plus probable, comme cela a été le cas aux Pays Bas en 2008, car une exonération généralisée pèserait sérieusement sur les Finances publiques (la retenue à la source représente actuellement près de 1 milliard d’euros de recettes annuelles).
Entretemps, cet arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne constitue une bonne nouvelle pour les OPCVM espagnols et, par ricochet, pour la balance des paiements de l’Espagne.