PROCÉDURES COLLECTIVES EN ESPAGNE: LES ACCORDS DE REFINANCEMENT HOMOLOGUÉS VONT-ILS S’IMPOSER A TOUS LES CRÉANCIERS ?
Par Felipe Sáez
Administrateur de la COCEF
Chargé des Relations Extérieures
La loi 22/2003 du 9 juillet 2003, amendée par la loi 38/2011 du 10 octobre 2011, a établi le cadre légal des procédures collectives relatives aux entreprises en difficulté.
Les anciennes procédures de cessation de paiements et de faillite ont été substituées par une procédure d’apurement collectif des dettes (concurso de acreedores) se concluant soit par un accord avec les créanciers qui permette la poursuite de l’exploitation soit, en tout dernier ressort, par une liquidation de l’entreprise.
Dans le nouveau régime, avant de se résoudre à engager la procédure collective proprement dite, le débiteur a la possibilité de souscrire par anticipation avec les créanciers des accords de refinancement de ses dettes. Ces accords peuvent consister en une augmentation des crédits en cours, ou au report de leur échéance, ou en leur substitution par de nouveaux financements.
Ces conventions ont la particularité qu’elles ne peuvent être résiliées, même conclues pendant la période dite « suspecte » (deux années précédant la date d’initialisation de la procédure collective), pour autant qu’elles soient assorties d’un plan de viabilité permettant la poursuite de l’exploitation à court et moyen terme, que 60% au moins de l’ensemble des créanciers y ait adhéré, qu’elles aient recueilli l’avis favorable d’un expert indépendant désigné par le greffier du Tribunal de Commerce, et qu’elles soient formalisées par devant notaire (art. 71.6).
Cependant, elles n’ont aucune force contraignante à l’égard des créanciers qui n’y ont pas adhéré ou s’y sont opposés. Ceux-ci peuvent, donc, à défaut d’être payés aux échéances initialement prévues, requérir l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du débiteur ou engager des procédures d’exécution des garanties qu’ils détiennent, alors même que le délai de validité de l’accord (5 années au maximum) n’est pas expiré.
Aussi, pour faciliter l’aide des banques aux entreprises en difficulté plus particulièrement dans le contexte actuel, un des amendements de la loi 38/2011 a introduit des normes spécifiques pour les conventions de refinancement conclues, avant toute procédure collective, entre les débiteurs et ceux de leurs créanciers qui sont des entités financières. Les débiteurs peuvent demander l’homologation de ces conventions par un juge, pour autant qu’elles remplissent les conditions énoncées par l’article 71.6 cité plus haut, que des créanciers représentant au moins 75% du passif envers les entités financières y aient adhéré (Disposition Additionnelle 4), et que la validité des conventions n’excède pas 3 années.
Une fois homologuées, les conventions s’imposent aussi, mais uniquement en ce qui concerne le moratoire ou rééchelonnement des dettes, aux entités de crédit n’y ayant pas adhéré ou s’y étant opposé et qui ne bénéficient pas de sûretés réelles. Ces autres créanciers peuvent, toutefois, se pourvoir contre l’homologation, mais seulement aux motifs que le minimum d’adhésions n’a pas été atteint ou que le contenu de l’accord implique pour eux un préjudice disproportionné, ce qu’il revient au juge d’apprécier. Par ailleurs, les créanciers autres que les entités financières ne sont pas tenus par ces accords, bien que la loi ne leur interdit pas d’y adhérer.
Ainsi donc, cet amendement laisse les entreprises qui connaissent des difficultés de trésorerie, exposées à une procédure collective à l’initiative d’un créancier non partie ou opposé aux accords de refinancement.
Néanmoins, l’utilisation de l’homologation judiciaire dans la mise en place des accords de refinancement a commencé à avoir des répercussions importantes pour les banques, notamment pour les banques étrangères.
D’abord, les premières décisions judiciaires ont confirmé l’obligation pour les banques créancières d’appliquer le moratoire ou le rééchelonnement de dettes stipulé par un accord de refinancement, même si elles n’y ont pas adhéré ou s’y sont opposé, dès lors que cet accord a été homologué.
Il s’ensuit que les gestionnaires des établissements bancaires doivent prendre en compte dans leur politique de crédit cette possibilité d’homologation et ses conséquences. En effet, une circulaire de la Banque d’Espagne les oblige à lui adresser un rapport trimestriel sur l’évolution de tous les accords de refinancement souscrits par ces établissements. Si la poursuite d’un accord s’avère douteuse du fait que d’autres créanciers ne l’ont pas souscrit ou y sont opposés, les banques sont obligées de provisionner leurs créances auxquelles cet accord se réfère.
Dans la mesure où la proportion des dettes financières sur le passif total est élevée et où un accord de refinancement homologué est intervenu, la probabilité d’une réaction des autres créanciers non financiers et, partant, de la nécessité de provisionner, s’avèrent moindres.
Ensuite, les conséquences de l’homologation peuvent être de nature à inciter les banques à conclure des accords de refinancement comportant l’élargissement du montant des crédits en cours ou l’octroi de nouveaux crédits, afin de permettre aux débiteurs de faire face à la plus large fraction possible de leur passif non financier et, ainsi, d’éviter au maximum l’éventualité d’une procédure collective à leur encontre de la part de ces autres créanciers .
Quant aux banques étrangères, qui sont moins enclines que les banques nationales à refinancer des entreprises locales en difficulté, cette nouvelle législation est susceptible de les rendre beaucoup plus prudentes dans l’octroi de concours.
Par ailleurs, une jurisprudence commence à se dessiner, qui admet l’extension des effets de l’homologation judiciaire à des accords de refinancement incluant des passifs non financiers.
C’est ainsi que, tout récemment, un jugement du Tribunal de Commerce de Séville a prononcé l’homologation d’un accord de refinancement avec les banques, prévoyant aussi un rééchelonnement des dettes envers la Sécurité Sociale et l’Administration fiscale ainsi qu’avec les fournisseurs.
Cette sentence est extrêmement importante dans la mesure où elle est constitutive d’une jurisprudence susceptible de rendre contraignants les accords de refinancement homologués aux créanciers non financiers, et non plus seulement aux banques et organismes financiers.
Elle renforce donc la situation des entreprises qui concluent des accords de refinancement avec leurs banquiers, en écartant l’éventualité d’une procédure collective ou, à tout le moins, en réduisant la possibilité de cette dernière.