Par Felipe Sáez
Administrateur de la COCEF
Chargé des Relations Extérieures
Par arrêt du 02/10/2012, la Chambre du Contentieux-Administratif de la Cour de Cassation a annulé la décision adoptée en Conseil des Ministres le 06/05/2011 déboutant la demande en responsabilité patrimoniale pour infraction au droit de l’Union européenne que la succursale en Espagne d’une société allemande avait formulée à l’encontre de l’Administration, le 08/07/2010.
Egalement, par le même arrêt, la Cour a condamné cette même Administration à restituer à la succursale requérante la somme de 1.444.786,11 euros, outre intérêts de droit à partir du 08/07/2010, au titre des droits indûment perçus sur les apports de capitaux reçus en 2003 de la maison-mère allemande et employés aux activités de la succursale.
La succursale avait engagé sa demande en responsabilité de l’Administration sur le fondement d’un arrêt prononcé, le 09/07/2009, par la 4ème Chambre de la Cour de Justice de l’Union Européenne (affaire C-397/07). Cet arrêt avait condamné l’Etat espagnol pour manquement aux obligations lui incombant en vertu de la directive 69/335/CEE du 17/07/1969, au motif qu’il soumettait au droit d’apport « le capital affecté aux activités commerciales exercées sur le territoire espagnol par les succursales ou les établissements permanents de sociétés établies dans un Etat membre qui n’applique pas un droit similaire ».
Effectivement, cette imposition était stipulée par l’article 20 de la Loi de l’Impôt sur les mutations patrimoniales (Ley del Impuesto sobre Transmisiones Patrimoniales) dans sa rédaction de 1993. Mais elle avait été supprimée par la Loi 4/2008 du 23/12/2008, art. 3, qui a modifié la rédaction du dit article 20.
Cet arrêt de la Cour de Cassation ouvre de sérieuses perspectives de récupération fiscale, notamment aux sociétés établies dans les Etats membres de l’Union européenne et opérant en Espagne par l’entremise non seulement de succursales ou d’établissements permanents mais aussi de filiales, ainsi qu’aux entreprises espagnoles.
En effet, l’Administration a nié l’existence « de tout lien de causalité entre l’infraction au Droit communautaire imputable à l’État membre et le dommage infligé », au motif que « les liquidations de droits à l’origine des éventuels dommages remontent aux mois de janvier et février 2003 et n’ont fait l’objet d’aucun recours de la part de Deka ». Elle a allégué qu’il s’agit d’un acte ferme par consentement puisqu’il n’a pas été recouru formellement ni à temps.
Mais la Cour a récusé cette allégation en se référant à sa propre jurisprudence, établie en suite d’un arrêt de la Cour de Justice européenne du 26/01/2010 selon lequel « Le droit de l’Union s’oppose à l’application d’une règle d’un État membre en vertu de laquelle une action en responsabilité de l’État, fondée sur une violation de ce droit par une loi nationale constatée par un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes rendu au titre de l’article 226 CE, ne peut prospérer que si le demandeur a préalablement épuisé toutes les voies de recours internes tendant à contester la validité de l’acte administratif dommageable adopté sur le fondement de cette loi, alors même qu’une telle règle n’est pas applicable à une action en responsabilité de l’État fondée sur la violation de la Constitution par cette même loi constatée par la juridiction compétente ».
Il s’ensuit que l’action en responsabilité de l’Administration espagnole par la succursale en Espagne de la société allemande est recevable, même si la succursale n’avait engagé auparavant aucune procédure en contestation des impositions dont elle avait fait l’objet, pour autant que la violation du droit de l’Union ait été constatée par la Cour de Justice européenne.
La portée de l’arrêt de la Cour de Cassation est considérable, en ce qu’il confirme la possibilité pour toute entreprise, espagnole ou étrangère opérant en Espagne par l’entremise d’une succursale, un établissement permanent ou une filiale, d’engager directement une action recevable en responsabilité patrimoniale de l’Administration publique pour des actes violant le droit de l’Union, pourvu que cette violation ait été, au préalable, formellement reconnue par la Cour de Justice européenne, sans avoir à faire préalablement usage des procédures de contestation de ces actes et dans les délais prévus à cet effet.
L’application de ce principe, en conférant aux entreprises de l’Union Européenne une plus grande protection contre les distorsions fiscales, est de nature à faciliter les investissements directs de ces dernières en Espagne.